Après la proclamation des résultats provisoires des élections tenues le 30 décembre 2018 au Congo-Kinshasa, il y a eu une vague de velléités tribalistes dans certaines contrées du pays, ayant causé des affrontements entre communautés et plusieurs dégâts. Plusieurs voix se sont levées pour condamner ces agissements et dérives communautaristes.

Les rivalités, partout où elles existent, naissent du manque de compréhension de l’autre. L’histoire de l’humanité est malheureusement jalonnée de guerres et conflits. Une émission à la radio renseignait encore dernièrement qu’il y a eu au cours des siècles passés plus d’années de guerre que d’entente et de cordialité entre peuples.

Comme dans toute situation de crise, il ne suffit pas de dénoncer, de se dire indigné, de se montrer préoccupé. Il convient de tirer les leçons, pour que les mêmes choses ne se reproduisent plus à l’avenir. « Plus jamais ça », comme on l’entend et le dit souvent. En plus, il est aussi et surtout important de proposer des pistes de solutions, de montrer de voies de sortie.

En regardant à ces évènements malheureux de divisions et de déchirements entre tribus, avec une perspective de professionnel de langues, il m’est apparu qu’une réforme de notre système éducatif pouvait en fait constituer l’un des éléments de base afin de poser de nouveaux fondements pour une société plus harmonieuse, dans laquelle règnent la concorde et le vouloir vivre collectif.

 

Enseignement des langues dites nationales 

Plusieurs voix appellent de tous leurs vœux la gratuité et le caractère obligatoire de l’enseignement primaire et/ou secondaire. De la même manière, et en vue d’arriver à une meilleure cohésion nationale, il s’avère primordial de rendre obligatoire et systématique l’apprentissage des quatre principales langues locales du pays, c.à.d. le Swahili, Lingala, Tshiluba et Kikongo. En plus du français et de l’anglais qui sont enseignés pour permettre à nos enfants d’être ouverts et communiquer avec le monde, l’apprentissage des langues du pays contribuerait aussi à nous faire davantage découvrir notre pays et notre culture, ainsi qu’à mieux communiquer entre nous.

Pour cela, nous pourrions recourir à un modèle que d’autres utilisent déjà. En l’occurrence, selon la répartition géographique de nos langues nationales, l’apprentissage serait rendue obligatoire et systématique pour deux langues, c.à.d. la première étant la langue de la région concernée, et la deuxième au choix de l’élève. A Goma par exemple, les gens apprendraient déjà le Swahili, puis ils choisiront entre le Lingala, Tshiluba et Kikongo comme deuxième langue.

En disant systématique, il s’agit de faire au-delà de leçons simplistes qui se dispensent d’habitude dans les écoles (parce qu’il faut admettre que quelque chose se fait déjà dans ce sens). Ceci exige plus de volonté de la part des uns et des autres, des décideurs aux pédagogues, en passant par les auteurs de manuels scolaires. En clair, ceci irait par exemple jusqu’à la création d’une sorte d’Académie qui suit l’évolution de ces langues.

Attention à la discrimination linguistique

En désignant nos langues par des termes comme « langues nationales » ou « dialectes », nous devons faire attention à ne pas leur coller un caractère réducteur, surtout vis-à-vis des autres langues venues d’ailleurs, et dont nous avons bien fait de nous approprier. Il n’existe pas une langue qui soit supérieure à une autre. Bien que certaines soient parlées par un plus grand nombre dans une région ou dans le monde, chaque langue contient de la richesse, de la beauté et du génie.

Pour cela, il ne faudrait souffrir d’aucun complexe. Aimer et promouvoir nos langues ne signifie pas qu’il faut rejeter ce qui vient d’ailleurs. Par contre, on s’en approprie même, et cela ajoute davantage à notre bagage culturel, grâce à tous ces échanges avec l’extérieur. En connaissant mieux sa langue, on se comprend soi-même ; en apprenant la langue de l’autre et en s’en appropriant, on le comprend mieux.

 

Mandela, Apartheid et Afrikaans

Lorsque Nelson Mandela, alors qu’il est retenu depuis plusieurs années dans les geôles du régime ségrégationniste sud-africain, décide d’apprendre l’Afrikaans, plusieurs parmi ses partisans croyaient en un non-sens. Pourquoi apprendre la langue de l’oppresseur ? Mandela savait qu’en apprenant cette langue, il développerait une meilleure compréhension de ses bourreaux. Parce qu’apprendre une langue, c’est aussi apprendre une culture, une façon de penser. En se mettant dans les chaussures de l’autre, vous avez une meilleure perspective, vous voyez mieux comment il appréhende les choses et vous le comprenez facilement.

 

Aujourd’hui, si nous voulons ne plus voir à l’avenir des violences à base tribale dans le pays, une des clés consiste à introduire, renforcer et systématiser l’enseignement des langues nationales. Les générations montantes seront plus confiantes en elles-mêmes et plus ouvertes et compréhensives envers leurs compatriotes dont les origines sont différentes des leurs.